Après avoir appris la mort de J.M Cambon, attristé par cette nouvelle, j’ai eu dans une sorte d’élan affectif l’envie d’écrire un mot en l’honneur de cet ami de longue date que je n’ai pas connu… Étrange hommage que je n’ai pas osé rendre public pour diverses raisons, donc celle de n’avoir aucun titre officiel qui m’en donnait le droit. En revanche, j’ai lu les hommages de ceux qui avaient d’une certaine manière l’avaient. La plupart étaient de bons hommages. Mais j’ai pris connaissance d’hommages de convenance, dont l’un en particulier où l’auteur a carrément repris des phrases entières de textes déjà publiés, et j’ai trouvé cela malhonnête. Aussi, j’ai décidé de reprendre et de publier, certes tardivement, celui que j’avais écrit, lui étant au moins sincère.
Le 13 mars, par la une du Journal Le
Dauphiné retransmis sur nos téléphones, nous apprenions la mort de Jean-Michel
Cambon suite à une chute vertigineuse qui avait eu lieu la veille alors qu’il
était en train d’équiper une unième voie sur une falaise des gorges du Drac.
Cette triste nouvelle nous a affectés, ainsi que des dizaines de milliers de
grimpeurs de toutes les régions de France, comme si nous venions d’apprendre la
disparition d’ami, alors que peu le connaissaient directement. Nous avons eu le
sentiment d’avoir perdu un ami car son nom était associé à tellement de voies
« modernes » que nous avons adoré parcourir, dans des Cerces, à la
Tête D’aval, aux Tenailles, dans les Écrins et j’en passe, qu’il était
constamment dans notre esprit et dans nos conversations. Dés qu’on allait dans
l’Oisans faire nos escalades d’été, tout ou presque était Cambon : les
voies Cambon, les cotations Cambon, les secteurs Cambon, l’équipement Cambon,
les topos Cambon, les astuces Cambon, les relais Cambon, nos joies et nos
plaisirs d’escalade étaient Cambon. Il arrivait parfois, que ces expressions
tournent aux mépris, la marque Cambon étant alors synonyme de Trop : trop
équipé, trop facile, trop aseptisé, trop dalleux,
trop peu logique, trop trop… En faite, trop
Cambon. Il avait ses détracteurs comme tous les hommes qui ont fait
beaucoup de choses et bien, sans doute trop
bien aux yeux de ces gens. Il faut
reconnaître que c’est toujours un peu déconcertant ce genre d’homme !
Pourquoi en a-t-il tant fait et encore ? Près de 1000 voies dit-on.
Ce que nous savons, c’est que pour ouvrir
comme ça des centaines de voies nickel
chrome, telles que nous les aimons en somme, il faut avoir en soi, une
bonne dose de générosité. C’est sans doute pour ça que les voies Cambon à Ailefroide ont une forte valeur sociale (et en
l’occurrence une haute valeur économique). Vous savez ce genre de grandes voies qui ont permis la
naissance d’un certain genre de grimpeurs qui ont pu faire de longues escalades
sans avoir forcément des compétences d’alpinisme.
Dans les
quelques hommages qui lui ont été rendu depuis sa disparition et que j’ai pu
lire, tous ont évoqué son passé d’alpinisme d’aventure. En effet, il ouvert
avec son ami Bernard Francou, sur la plupart des sommets prestigieux des
Écrins, de très longs et sévères itinéraires rarement répétés. Je me souviens
des chroniques alpines d’alors dans lesquelles les premières Cambon/Francou
étaient nombreuses : époque où « On tombait comme des mouches »
dira Jean-Michel, comme s’il eût voulu signifier à ceux qui se revendiquaient
uniquement de cet alpinisme là, qu’il n’en avait pas la nostalgie. Cette
observation personnelle, liée au fait qu’on lui a beaucoup reproché d’avoir
dénaturé et dévalorisé l’alpinisme en équipant des voies à demeure relativement
sûres dans les faces qui étaient jusque là, réservées au grand alpinisme, à
l’alpinisme véritable. Il a fait
effectivement la promotion d’une nouvelle forme d’escalade en montagne, que beaucoup
d’alpinismes d’alors ont adoptée avec enthousiasme (Sauf quelques irréductibles montagnards que ce
phénomène a gênés, voire mortifiés). D’où est venue cette inextinguible
attirance pour cette nouvelle grimpe en montagne ? Justement du fait
qu’elle « simplifiait » le jeu de l’alpinisme, c’est-à-dire en
réduisait d’une manière significative les risques d’accident tout en augmentant
les plaisirs esthétiques et techniques de grimper sur du rocher de rêve quasi sans possibilité d’assurage naturel (1).
A-t-il trahi l’alpinisme en équipant de goujons des voies anciennes qu’ils
avaient ouvertes en traditionnel, avec son ami Francou, c’est à dire en prenant
souvent de gros risques ? A-t-il trahi l’alpinisme en équipant de goujons
de nouvelles voies sur des faces en altitude qui n’étaient jusqu’à là
qu’accessibles qu’aux alpinismes audacieux ? Oui, pour certains, non pour
d’autres. Ces réponses contradictoires prouvent que ce sont de mauvaises
questions ? L’erreur a été de penser que l’alpinisme d’aventure, l’authentique alpinisme, allait
disparaître à cause que beaucoup d’alpinismes d’alors ont préféré s’en
désengager. Si nous parlons de lui avec beaucoup de respect, c’est qu’il fut
l’un des premiers, sans suivre aucun exemple (c’est toujours comme ça avec les
précurseurs), à faire en sorte que la montagne ne soit plus exclusivement
réservée à la pratique de l’alpinisme d’aventure, mais aussi qu’elle soit
relativement accessible aux grimpeurs moins téméraires. Il a simplement
démontré qu’en montagne, il y avait place pour tous les genres de grimpes et de
grimpeurs.
Si nous sommes allés en toute confiance dans beaucoup de voies
« Cambon » nous devons aussi faire confiance à ses conceptions de
l’escalade et de l’alpinisme qui ont déterminé son action ; et aussi à ce
qu’il en disait des voies d’escalades modernes en haute montagne… Et pour le
savoir, je vous conseille de sortir ses topos et de lire toutes ses notes… (2).
Comme nous devons aussi faire confiance à ses motivations bien que Jean-Michel
en parlait rarement. Jean-Michel Cambon a perdu hélas beaucoup d’amis en
montagne. Est-ce un peu pour cela qu’à partir du début des années quatre-vingt,
il a commencé à équiper des voies modernes à demeure affranchies « au
maximum » des risques propres à l’alpinisme traditionnel. En tout cas, il
a fait en sorte, grâce à ses innombrables voies bien équipées, que les
grimpeurs-alpinistes puissent jouir au plus vieux de leur âge, de leur passion
de l’escalade et de la montagne. Et d’une certaine manière, grâce à ses voies,
Jean Michel Cambon a sauvé des vies, d’innombrables vies et sans doute la
mienne.... Et qu’est-ce qu’on peut dire contre ça ! Merci l’ami que je
n’ai connu que par tes œuvres. Quelle héritage que tu nous as laissé-là !
Que ton œuvre demeure !
Le 16 mars, Pepito (Texte repris le 08 Mai).
(1) D’accord, il y a
des névés, on est en montagne quand on va faire « une Cambon » à la
Meije ou à la Tête du Rouget, ou encore Aurore
Nucléaire, et il faut gérer cette spécificité. D’accord ces escalades
modernes d’altitude posent des problèmes « alpins », donc
d’alpinisme, mais en résolvent aussi, et pas des moindres : problème de
pose de protection même si les points à demeure peuvent être espacés. Ce qui
veut dire aussi : recherche de l’itinéraire simplifié, retraite quasi sûre
car préalablement équipé pour les rappels (même si pas totalement résolue car
il faut tout de même les effectuer et que l’on peut commettre des erreurs). Une
chose est certaine, les mêmes itinéraires aussi beaux et intéressants
soient-ils, seraient à faire en « traditionnel », c’est-à-dire en
posant ses moyens de protection en utilisant uniquement les ressources du
rocher sans le perforer, il y aurait beaucoup moins de grimpeurs-alpinisme qui y
seraient allés (Telles, les grands classiques comme Visite Obligatoire à la
Dibona et Ventre à Terre à Sialouze (La voie Livanos a souffert de ses
« modernes » voisines) et constatant cela, Jean-Michel a ensuite
adopté un principe : équiper à distance respectable des voies anciennes).
(2) Ce que je
comprends de ses écrits : on fait véritablement de l’alpinisme dès lors
que l’on fait une voie en résolvant soi-même tous les problèmes posés par la
montagne, le rocher et l’escalade, même de niveau modeste. - C’est cela l’essence
de l’Alpinisme !
Magnifique hommage !
RépondreSupprimerJe suppose que je dois une fois de plus me sentir visé comme étant celui qui a été malhonnête en se permettant d'écrire un hommage de convenance et sans aucune sincérité à la suite du décès de Jean-Michel Cambon sous prétexte que mon hommage reprenait pour l'essentiel ce que j'avais déjà écrit sur lui dans mon livre La leçon d'Aristote.
RépondreSupprimerJ'avoue ne pas bien voir en quoi le fait de reprendre un texte publié dans un livre peu lu et qui n'a pas connu de campagne de publicité dans les médias, fussent-ils spécialisés, est une preuve de mon indifférence au décès de Jean-Michel, qui m'a profondément touché, comme tous les grimpeurs qui appréciaient ses voies (et je n'ai eu de cesse de le défendre chaque fois qu'il était attaqué devant moi). Je ne vois pas non plus en quoi ce serait un hommage de convenance ne s'autorisant que d'un titre officiel. J'ai effectivement un engagement officiel à la FSGT et étant un grand admirateur du travail de Jean-Michel Cambon qui m'a toujours sembler aller dans le sens de ce que nous cherchions à faire avec la popularisation de l'escalade, il me paraissait normal de lui rendre cet hommage au nom de la FSGT. Je trouve cette attaque personnelle sur ma sincérité pour le moins injuste et j'ajouterais lâche quand son auteur n'a même pas le courage de la signer. Moi au moins je signe ce que j'écris.
Pas du tout. Il va falloir que tu cesses de penser que tu es ciblé à chacune des phrases que tu rencontres qui expriment une idée, un sentiment, un point de vue qui sont loin des tiens. J'ai lu beaucoup d'hommages car Jean Michel Cambon est une personne qui m'intrigue, qui m'interpelle, qui m'oblige à réfléchir sur les motivations des entrepreneurs artisans pour le moins boulimiques comme lui (je parle au présent car c’étais le cas avant sa mort). Sans doute que quelque part, j'ai besoin de me rassurer sur mon propre travail à Bleau qui paraît suspect car également boulimique, tout autant que le travail de Jean Michel a paru suspect dès lors qu’il semblait contraire à certaines conceptions « privées » de l’escalade et de l’alpinisme. Je suis tombé sur le tien qui par bien des côtés avait des ressemblances avec le mien : ce qui n’est sans doute pas un hasard, car je pouvais avoir été influencé par l’actualité récente… Je n’insiste pas. Je te rassure, ton hommage était de ceux que j’ai trouvés bons et je n’avais même pas remarqué que tu avais repris certaines observations de ton livre. J’ai écrit la réponse suivante et de suite après avoir lu seulement la première phrase de ta réponse car elle m’a fait bondir au plafond… Pour de vrai, j’ai réellement eu l’impression d’avoir perdu un ami… Un ami qui nous a tant apporté. Et je sais que tu admirais aussi cet homme. Alors Paix à ton âme!
RépondreSupprimerJe suis content de savoir que je n'étais pas visé, mais comme mon texte était pile dans le créneau de celui qui était visé, il m'était difficile de ne pas faire le rapprochement. ce ne serait pas arrivé si l'auteur de cet hommage ne parlait pas par sous-entendus et citait nommément ceux qu'il vise. Et puis Pépito ferait bien de prendre la (bonne) habitude de signer ses textes.
RépondreSupprimerQuelqu’un m’a dit que dans la suite de ton texte (que je n’ai toujours pas lu) tu me traites de lâche au fait que mon hommage n’était pas signé, d’où ton interprétation que je t’attaquais encore et que tous les prétextes sont bons par atteindre l’inébranlable Gilles Rotillon (un bon titre pour un album d’Achille Talon). Normalement le nom de celui qui poste le texte apparaît automatiquement. Là, ça n’a pas fonctionné ou ça ne fonctionne plus pour des raisons techniques que j’ignore. De toutes manières, il était très facile de savoir qui avait écrit ce texte, nous somme si peu à se risquer d’utiliser les mots à l’écrit à cause du risque justement d’être mal jugé, d’apparaître « mauvais ». Alors pour ce qui est d’avoir pris des risques, ils sont réels vu comment ont m’a fait sentir qu’il vallait mieux que je me contente de dessiner des petits chiffres sur le rocher. J’en profite pour citer un ami, un vrai, comme j’en ai très peu : "Ce que je retiens de la réaction des cadres de la FSGT, c'est qu'ils ont offert l'escalade au petit peuple, ils t'ont permis de grimper, mais pas celui d'écrire... Il ne faut pas déconner, la matière grise c'est eux ! Toi t'es les bras ! » Voila un résumé lucide... Pepito
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