samedi 4 février 2023

Sur la situation de l'escalade en site naturel

 Je partage ci-dessous une analyse de Gilles, également fruit d'une réflexion collective au sein de notre fédération, la FSGT, et notamment son collectif d'animation. Bonne lecture!


 

Sur la situation du développement de l’escalade : Que faire ? (Résumé à l’attention de ceux qui sont pressés)


Le contexte : des interdictions de falaises de plus en plus nombreuses.


Droit public, droit privé : deux mondes très différents1


La notion de « gardien de la chose » n’a de sens véritable qu’en droit privé. Seuls donc les propriétaires privés peuvent être condamnés (sans faute) au titre de cette garde.

Toutefois, si un propriétaire accepte sans convention l’escalade sur son terrain et qu’il y a un accident dû à un assurage défectueux ou mal placé rendant la chute dangereuse, il peut faire valoir la faute d’un tiers, que ce soit le grimpeur éventuellement imprudent au regard des règles de son art (vérification possible ou pas de la solidité des ancrages, prises, … au fur et à mesure de sa progression ...) ou l'équipeur), ou encore la victime, pour s'exonérer, totalement ou partiellement, de la responsabilité de plein droit qui pèse sur lui.

Il en résulte que, pour lui, en l’absence de convention, la solution la plus sûre pour ne pas risquer une condamnation en tant que gardien est d’interdire l’accès à son terrain.2 Ce-faisant, il est dans son droit le plus strict et il est impossible de s’opposer à sa décision. Les conventions signées par la FFME le dégageaient de ce risque en prenant la garde de la chose à sa place.


En revanche, en droit public, la responsabilité civile de plein droit du fait de la garde de la chose n’existe pas pour ce qui est des espaces naturels.

Par conséquent, des élus ou un responsable d’établissement public (comme dans le cas d’Etréchy) qui interdisent l’escalade pour se prémunir du risque lié à leur condition de gardien le font au nom d’un risque inexistant, puisqu’ils n’ont la garde de rien du tout.

Le principe de base est la liberté publique d'aller et venir, qui empêche, ou plutôt devrait empêcher, les décideurs publics d’interdire une activité de plein air sur des sites naturels !

C'est dans une conception erronée de leurs pouvoirs de police et de leur responsabilité que des décideurs publics usent d'interdictions.

C’est bien pourquoi de nombreuses décisions d’interdiction de ce type sont annulées par le tribunal administratif ou le préfet.

L’escalade étant souvent la seule à être interdite, il faut en conclure que cette activité a une image de dangerosité chez les non-pratiquants qui explique ce deux poids-deux mesures, autorisant par exemple la randonnée au pied de falaises où l’escalade est interdite, alors qu’une chute de pierre atteignant un randonneur pose les mêmes problèmes que si c’est un grimpeur. L’image de l’escalade dans le grand public et chez la plupart des élus est une donnée importante du problème.


Pourquoi la modification du code du sport ne change pas grand-chose.


Il faut rappeler ce qu’il dit : « Art. L. 311-1-1. – Le gardien de l’espace naturel dans lequel s’exerce un sport de nature n’est pas responsable des dommages causés à un pratiquant, sur le fondement du premier alinéa de l’article 1242 du code civil, lorsque ceux-ci résultent de la réalisation d’un risque normal et raisonnablement prévisible inhérent à la pratique sportive considérée. » 

Portant sur la responsabilité du gardien il ne peut déjà avoir d’effet que pour les propriétaires privés qui sont les seuls à qui cette responsabilité s’applique.

Dans le code, tout semble donc se concentrer sur la définition de ce qu’est un « risque normal et raisonnablement prévisible inhérent à la pratique sportive considérée », dont, en général, un juge ne peut pas avoir une idée précise s’il n’est pas lui-même grimpeur.

Pourtant, s’il n’est pas défini clairement dans le code du sport et peut donner lieu à discussion lors d’un procès, il n’est pas aussi flou qu’on pourrait le penser. De fait, le droit des contrats en offre de nombreux exemples, débouchant sur une jurisprudence importante et qu’on peut résumer par l’idée que le risque normal est celui qui a des conséquences socialement acceptables. Qu’est-ce qu’une conséquence socialement acceptable ? Cela dépend de l’activité pratiquée et donc de son histoire.

Dans le domaine qui nous occupe, elle changera considérablement selon qu’on parle d’escalade sportive ou d’alpinisme, la première s’étant considérablement développée depuis que la chute est devenue un moyen de progresser techniquement et a été rendue possible par un équipement systématique et fiable.

C’est dire qu’en escalade sportive, le risque de mort (ou d’invalidité grave), ne peut en aucun cas être considéré comme un risque normal et raisonnablement prévisible et donc être socialement acceptable au contraire de ce que montre toute l’histoire de l’alpinisme.

Il est assez illusoire de croire, et de laisser croire, que des juges exonéreront le gardien et/ou le propriétaire privé d'une falaise sur laquelle un grimpeur décédera ou sera très grièvement blessé du fait d'une chute de pierre parce qu'un nouvel article du code du sport dit que le gardien est tenu du risque normal et raisonnablement prévisible, et que donc le décès est supposé être un aléa normal et raisonnablement prévisible. Toute l'histoire de la jurisprudence est plutôt dans le sens inverse !


Quelles orientations pour la suite ?


Garantir l’équipement par des normes et un contrat d’entretien ?


Cette solution implique de définir les normes en question, ce qui est fait pour les assurages mais pas clairement pour la solidité des prises puisqu’on ne définit pas le niveau de purge que doit respecter une falaise.

Mais le gros problème avec cette orientation, c’est la professionnalisation de l’équipement. Il y a déjà des régions, où l’escalade est une activité importante, qui envisage de passer des appels d’offre pour entretenir les sites existants. Cela implique des coûts en centaines de milliers d’euros qui ne peuvent qu’attirer des entreprises de travaux acrobatiques, seules à pouvoir répondre à ces demandes groupées dans un temps nécessairement restreint. Du coup, l’équipement, qui a toujours été majoritairement assumé par les grimpeurs eux-mêmes, leur échapperait, car des bénévoles sur leur temps libre ne peuvent pas proposer une activité d’entretien sur un grand nombre de falaises en même temps.

Mais on ne voit pas pourquoi ce serait au propriétaire d’une falaise, qui n’est en général pas grimpeur de payer l’équipement. Ceux qui en profitent ce sont les grimpeurs et pour le financer (équipement et entretien), il n’y a que deux solutions. Soit les grimpeurs mettent la main à la poche, soit ce sont les contribuables qui paient ces équipements et leur entretien, comme ils paient déjà pour tous les autres équipements sportifs, avec des subventions des collectivités territoriales.

Mais il est clair qu’un financement public demandera du temps, d’une part parce que les dépenses publiques sont plutôt réduites qu’augmentées, et d’autre part parce que l’escalade a toujours cette image d’une activité où l’on risque sa vie « gratuitement » ce qui est inacceptable socialement.


Signer des conventions à la place de la FFME ?


C’est ce que font la FFCAM et la FSGT qui ont toujours des conventions (plusieurs centaines pour la FFCAM). Et c’est ce qu’a fait le département de l’Isère qui a décidé de reprendre les conventions de la FFME, sans augmentation de ses primes, sa compagnie d’assurance considérant l’occurrence de ces risques nouveaux comme négligeables dans la masse de ceux qu’elle assurait déjà.

Donc, là encore, si tant de structures, qu’elles soient privées ou publiques, craignent tant les condamnations qu’elles pourraient subir du fait d’un accident en escalade, c’est parce qu’elles ont une image de cette activité qui la classe comme « dangereuse », leur faisant surestimer la probabilité d’un accident.


Changer la loi pour le droit privé ?


Au lieu de « protéger » le propriétaire comme dans le code du sport, dont on a vu que cette « protection » était quasi nulle, elle ferait porter la responsabilité sur le pratiquant.

Il faut poser et limiter le débat à partir du risque normal, accepté socialement. Le pratiquant d'un sport « doit » accepter les risques normaux de son activité.


Informer les élus et les responsables administratifs des risques réels qu’ils encourent


Pour sortir de cette image dangereuse de l’escalade, il faudrait tenir des statistiques claires des divers accidents qui marquent l’activité. Ce serait le seul moyen de sortir des impressions vagues ne reposant que sur quelques exemples qui sont aujourd’hui utilisés pour trancher en cas d’accident.

Le développement actuel de l’escalade au niveau mondial est un indice sérieux de cette absence de dangerosité qui est encore trop l’image de l’escalade. Même sans statistiques détaillées on voit que les pratiquants se comptent par millions sans que les accidents mortels ne viennent défrayer la chronique comme ils l’ont toujours fait en alpinisme.



Finalement, pour résumer les orientations à prendre, on peut citer :



Pour la responsabilité du gardien

  • A relativement long terme, le changement de la loi qui accentuerait la responsabilité du pratiquant

  • En attendant, reprise des conventions par les collectivités territoriales mieux informées sur les risques réels encourus

Pour les pouvoirs publics

  • Informer sur l’absence de la responsabilité en tant que gardien

  • Populariser les décisions comme celles du maire d’Etréchy ou du département de l’Isère auprès des autres responsables publics

Pour tous

  • Construction d’une base de données statistique sur les accidents en escalade permettant d’objectiver leur nature

  • Préserver l’équipement et l’entretien des falaises sportives par les grimpeurs eux-mêmes

  • Financer cet équipement et cet entretien sur des fonds publics à partir d’une évaluation des coûts impliqués (a priori faibles en les comparant aux autres équipements sportifs)

  • Insister sur la responsabilité des pratiquants




1 Je remercie Olivier de La Robertie, avocat, docteur en droit et grimpeur pour son aide juridique sur ce sujet.

2 Il faut noter qu’en droit privé, l’interdiction n’exonère pas automatiquement le propriétaire. Elle lui permet seulement de faire valoir une cause exonératoire de la responsabilité de plein droit : la faute de la victime.

ituation du développement de l’escalade : Que faire ?

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